GreenTropism est une entreprise française développant la technologie de spectrométrie. Cette dernière permet de définir avec détail la composition d’un matériel qu’il s’agisse d’un tissu, un objet, un aliment, etc. L’équipe des EcoGuides a eu l’opportunité de s’entretenir avec Anthony Boulanger le fondateur de GreenTropism, qui nous a livré sa vision et la façon dont il rend la spectrométrie révolutionnaire en y injectant une couche de Machine Learning offerte par l’IT. (Juliette BERNIER, Lire au travers de la matière, le super pouvoir de Greentropism !, EcoGuide IT, 14/11/2017).

Pouvez-vous nous dire ce qu’est GreenTropism et pourquoi avoir choisi ce nom pour votre entreprise ?

Anthony Boulanger, CEO de GreenTropism (Crédit photo : studio Harcourt)

Le nom GreenTropism vient à la fois de mon parcours et de l’éthique que j’ai envie de donner à l’entreprise. Je viens d’une école d’ingénieurs, j’ai doublé ma dernière année avec un master de recherche dédié aux sciences de l’environnement, dans lequel j’ai trouvé ma place et ce que j’y cherchais, aussi bien en termes d’applications que de challenge de recherche. Ensuite, j’ai rédigé une thèse. L’objectif de celle-ci était d’optimiser la méthanisation, produire de l’énergie verte à partir de déchets ménagers. L’idée était de pouvoir valoriser ce qu’on appelle des déchets, qui sont finalement une ressource première pour les méthaniseurs, afin de produire plus efficacement de l’énergie et de remplacer celles fossiles.
Après mes études, j’ai travaillé dans un grand groupe pour me mettre au service de l’environnement en y apportant mes compétences mathématiques, afin de produire plus d’énergie de façon plus propre, plus verte.
Après trois ans dans cette société, j’ai réalisé que la spectrométrie avait de nombreux champs d’application. Elle permet une analyse instantanée, sans produit chimique, sans exposer les opérateurs. J’ai pris conscience qu’une analyse, multiparamétrique, comme la spectrométrie, doit pouvoir être utilisée au-delà de l’usage qui en était fait dans l’entreprise pour laquelle je travaillais. C’est pour cette raison que le nom est GreenTropism. Tropism est issu du grec et signifie « attiré par », les plantes fonctionnent sur le modèle du phototropisme car elles sont attirées par la lumière. Pour notre part, nous sommes attirés par le vert. À travers une technologie propre, la lumière, nous nous mettons au service de l’environnement en réduisant la consommation d’énergie, l’utilisation de produits chimiques, tout en augmentant la rentabilité et la productivité des usines grâce à la baisse de gaspillage des matières premières. Ma déformation professionnelle d’ingénieur industriel ajoute une composante qui nous correspond tout à fait, qu’est l’impact positif que l’on peut avoir sur les consommateurs, en les aidant dans leur vie de tous les jours.

 

Anthony Boulanger, vous avez un parcours scientifique et êtes chef d’entreprise, pourquoi avoir fondé GreenTropism ?

Il y a plusieurs éléments de réponse. Je travaillais loin à l’époque, j’avais beaucoup de déplacements, c’était consommateur d’énergie, je prenais la voiture tous les jours et je détestais cela. Autre chose, un grand groupe a une stratégie focalisée sur son cœur de métier et dans ce cas, c’était la production d’énergie propre. Selon moi, il y a plein d’autres secteurs auxquelles peut s’appliquer la spectroscopie. Enfin, le besoin de se consacrer à 100% à un projet tel que l’exige GreenTropism.

Quels liens entretenez-vous avec le monde de l’IT et comment appliquez-vous les solutions de spectrométrie à ce dernier ?

Je vais revenir un peu en arrière sur ce que permet la spectroscopie. Un spectromètre est un appareil, qui peut prendre la forme d’une machine imposante ou miniaturisée, qui envoie de la lumière sur un échantillon. L’échantillon réagit avec la lumière, il absorbe certains photons en fonction de sa composition chimique. Les photons qui n’ont pas été absorbés retournent au détecteur. GreenTropism interprète la lumière émise et celle qui revient au détecteur avec l’aide d’algorithmes dynamiques qui se développent et gagnent en connaissance grâce au machine learning.
Pour se rattacher au sujet IT, cela peut servir pour analyser les matières premières composant les appareils. Nous avons analysé des plastiques afin de déterminer s’il y avait des polluants dans ces derniers, notamment pour répondre à des enjeux de recyclage.
La spectrométrie peut aussi s’intégrer à des objets IT émetteurs de lumière. Le but n’est pas de détourner leur usage, mais de rajouter une couche d’application spectrométrique en utilisant cette source lumineuse qu’ils ont déjà. Nous avons aussi travaillé avec des intégrateurs de technologies, des manufacturiers de produits blancs, pour pouvoir rajouter une couche de spectrométrie dans un autocuiseur, ou une machine à café par exemple.
L’intérêt pour l’IT n’est pas seulement de se demander comment la spectroscopie va améliorer la qualité d’un matériel en analysant ses composants, mais du rôle de la technologie pour aider à améliorer et à développer des utilisations. Les appareils électroménagers permettraient d’analyser la qualité d’un produit. Par exemple, une machine à café qui analyserait le taux de caféine du café, ou des autocuiseurs pour des personnes diabétiques ou intolérantes à certains aliments, indiquant un taux de glucide ou détectant du gluten. Cela faciliterait la vie des gens. C’est le lien le plus cohérent de cette technologie avec l’univers IT.
Pour finir, il y a aussi une application dans l’internet des objets (IoT). Les données spectrales deviennent une source additionnelle de données pour ces univers.

En quoi votre démarche peut-elle être qualifiée de durable, de quelle manière répond-elle à des enjeux sociaux et environnementaux ?

Une des qualités de GreenTropism est son aspect modulaire qui peut s’adapter au changement. Pour l’industrie, cela signifie l’arrêt de produits chimiques par exemple. Un spectromètre est capable de faire des analyses normalement faites en laboratoire, qui nécessitent du temps, des consommables, et utilisent des produits chimiques, parfois même des CMR (Cancérogène, Mutagène, Reprotoxique). Notre technologie limite ces utilisations-là. Dans la chaîne de production, la spectrométrie et l’interprétation que l’on fait de ces données sert à optimiser la chaîne et les changements de recette entre les différents lots de production. Les nettoyages en place dans l’industrie sont souvent empiriques et engendrent une surconsommation de détergent, d’eau et d’énergie. Pour l’industriel, la spectrométrie constitue aussi un gain financier, car la consommation en eau et en détergent est réduite, finalement c’est un win-win pour tous.
Concernant les consommateurs, le volet principal réside dans l’évitement du gaspillage alimentaire. Que cela s’applique à la forme des fruits et légumes, ceux qui ne sont pas bien conformes, ou à leur valeur nutritionnelle. Un fruit un peu abîmé peut être consommé,on peut connaître son taux de glucose par exemple.

À qui s’adresse votre technologie et quels sont les usages qu’ils peuvent en avoir ? Des exemples ?

À tous, par exemple la spectrométrie pourrait remplacer l’étiquetage alimentaire. Nous avons eu l’occasion de discuter avec le CERVIA (Centre Régional de Valorisation et d’Innovation Agricole et Alimentaire), car une nouvelle réglementation oblige les distributeurs de bouche à déclarer les valeurs nutritionnelles d’un aliment. Cela pose un gros problème car pour un sandwich fait à la volée ou qui doit être consommé le jour même, il n’est pas possible d’envoyer les échantillons au laboratoire qui va rendre ses résultats trois jours après. La spectroscopie peut rendre compte instantanément de la composition nutritionnelle du produit, en détaillant son taux de sucre, de lipides, de protéines, et le nombre de calories qu’il contient. Cela permettrait aussi à ceux qui font du bio et du vegan, de vérifier au moment de la fabrication et de la mise en pot, la qualité et la stabilité de la formule. Par ailleurs, je pense que l’étiquetage de produit reste fondamental, car bien que la spectrométrie soit un outil très puissant, elle a ses limites, notamment concernant les vitamines difficilement détectables et identifiables.
Au-delà de l’industrie agroalimentaire, c’est aussi une technologie cruciale pour la cosmétique. On parle de plus en plus de PE (Perturbateurs Endocriniens). Or, les marques vendent encore des produits contenant des composants qui ne sont plus autorisés, simplement parce qu’elles ont des stocks. Si la technologie GreenTropism était embarquée dans un téléphone, elle pourrait permettre au consommateur final de connaître les compositions en scannant les produits qu’il acquiert.
Cette technologie est à la fois B2B et B2C. Elle intéresse les consommateurs comme les industriels. Ces derniers font face à une problématique d’évaluation des composants et ont affaire à de nombreux sous-traitants et doivent tracer leur chaîne. Or, il leur est impossible de vérifier chaque ingrédient d’une composition cosmétique ou chaque fibre d’une matière textile.

La spectrométrie peut-elle être préventive et permettre de répondre au devoir de vigilance auquel doivent se tenir les entreprises ?

Je vais donner un exemple qui va peut-être répondre par lui-même. Nous avons collaboré avec un industriel en lui permettant de vérifier les matières premières avant déchargement des camions. Cet audit a permis de s’assurer que la livraison correspondait bien au cahier des charges qui avait été émis par le client avant de l’accepter. Je ne pense pas que cela soit punitif, mais cette authentification permet de s’assurer que ce qui est livré correspond bien à ce qui avait été prévu et qui est nécessaire pour les besoins d’un process. Je pense qu’en amont cette technologie a un rôle. Plus globalement, la spectrométrie a le potentiel de couvrir toute la chaîne de valeur, que cela concerne la qualité du sol, la croissance et la santé de la plante, l’évolution et la maturité du fruit jusqu’à la mise en process dans une industrie. Elle répond aux besoins de vérifier les mélanges des ingrédients, la qualité sur la chaîne de production et sur produit fini. Enfin, pour le consommateur, elle constitue une solution matérielle, car avec son objet connecté, celui-ci peut détecter un problème sur un produit et savoir s’il a envie de le consommer. Nous sommes capables d’analyser la matière première jusqu’à ce qu’elle devienne un déchet et de valoriser ce dernier pour qu’il devienne à nouveau une matière première pour l’industrie énergétique.

En quoi la spectrométrie peut-elle incarner une solution pour répondre aux problèmes et enjeux sociétaux ?

Dans le cadre d’une pénurie de vanille par exemple, beaucoup de produits circulent, notamment des synthétiques. Aujourd’hui, le consommateur ne sait pas quelle est la nature de la vanille qu’il consomme lorsqu’il achète un produit dit à la vanille. Nous avons réalisé un projet de recherche interne car nous avons su que le tonnage de vanille naturelle avait chuté drastiquement et qu’il fallait tout de même répondre à la demande. Nous avons analysé une quinzaine de produits et avons eu des surprises. Le cadre légal contraint les industriels à dire s’ils utilisent de la vanille naturelle, ou de l’arôme naturel ou synthétique. Nous n’avons pas trouvé de fausses déclarations, mais des industriels assez malins pour se rattacher à une déclaration alors que tout l’environnement chimique autour de la vanille utilisée appartenait à une autre catégorie que celle indiquée sur leur produit. Il y a une différence entre légalité et éthique.
La spectrométrie offre deux leviers, d’abord aider le consommateur à y voir plus clair tout en l’assurant de la qualité du produit qu’il mange, et un second levier qu’est l’éthique de la marque qui pourra donner la preuve à ses consommateurs que ce qu’elle déclare est vrai. Par exemple, une marque bio, qui est vendue plus chère, utiliserait la spectrométrie comme argument qualitatif envers ses consommateurs, en étant transparente et en prouvant que la vanille utilisée dans le produit est naturelle. Cela permettrait de regagner la confiance du consommateur, de rester crédible et de se différencier des concurrents. La technologie de GreenTropism offre donc la possibilité de double vérification.
Mais la spectrométrie peut aussi répondre à des enjeux sanitaires plus graves en identifiant des composants comme la mélanine qui a causé plusieurs décès de jeunes enfants. Les industriels pourraient rassurer le consommateur quant à leur produit garanti sans mélamine, sans bisphénol ou autre produit de ce type-là.

Le pari engagé par GreenTropism est de taille. Grâce à l’interprétation des données, la spectrométrie devient une solution pour savoir réellement de quoi sont constitués nos objets. Que cela soit des matières premières, des aliments industrialisés, des cosmétiques ou autres, GreenTropism promet de redonner à tous la possibilité de connaître la composition réelle d’un produit. Au delà de redonner sa position d’acteur au consommateur, cela offre aux industriels la possibilité de tracer les composants de leurs produits. Cette problématique fait sens dans un contexte législatif au sein duquel les entreprises sont désormais tenues responsables de leur chaîne d’approvisionnement et doivent répondre au devoir de vigilance. Si la spectrométrie ne prévient pas les violations quant au droits humains, elle indique d’où vient la matière et quels sont les intrants chimiques qu’elle contient. Autant d’indications qui donneront la possibilité de préserver la santé, les droits et l’environnement des humains, voilà une ingénieuse illustration de l’IT For Green !